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Heuristique & Sémiologique

 

L’esperluette

Filed under: Croisée,Webzette n° 6 — Author : — 25 Nov 2005 —

De l’époque romaine au 16ème siècle, les scribes, copistes et autres scripteurs avaient recours dans l’exercice de leur Art, pour des raisons d’économie (de temps, de papyrus, de parchemin,..) à des formes abréviatives, une sorte de sténographie, la ligature de deux lettres consécutives en un seul tracé. Economiques, certes, mais souvent illisibles. La ligature des deux lettres e et t de la conjonction de coordination « et », telle ( ? ) que nous la connaissons, remonte à l’époque mérovingienne, sa forme se stabilise (à peu près) à la suite de l’avènement de l’imprimerie. A cette époque la plupart des ligatures, devenues inutiles disparaissent, seule perdure celle du « et », &, l’esperluette. (On dit aussi : l’éperluette).

Pourquoi ce joli nom d’esperluette ? Les explications sont nombreuses et souvent de fantaisie poétique. Adoptons l’explication de Grévisse : ce caractère était, pour l’apprentissage de l’alphabet, placé après le « z » :……X Y Z & . Intégré et distingué. Les écoliers ânonnaient : ..vwxyz « et puis le ète » ; ce qui a donné : « esperluette ». Pourquoi pas ?

Il y a dans l’esperluette une sorte de redondance qui satisfait notre nostalgie hiéroglyphique, à tel point qu’elle prend (en particulier dans la communication commerciale) la valeur emblématique du blason expressif de sa devise, du logotype de son slogan. Peaufinée, voire idéalisée par les siècles, sans aspérité ni aigu, tout en rondeur, volute et volupté (travail de plume plus que de burin) l’esperluette exprime l’articulation. A cette croisée du signe et du sens, ce pléonasme pictographique, iconograhique et idéographique, cette mimésis de l’écriture phonétique se lit, se voit, s’entend comme écriture de la notion de lien, de relation, de nœud, de lacs, d’attache, de boucle….souples !! Arthrologique !

La conjonction de coordination sert à lier deux mots, deux parties du discours, des propositions de même fonction…Le « et » joue ce rôle et d’une façon plus spécifique relie les termes de l’addition (1et1 font 2), les éléments d’une énumération (le père, la mère et leur enfant), d’un mélange (l’eau et le vin), de la simultanéité (il pleut et il vente), etc… Bref, au-delà de ces fonctions que la grammaire lui impose, la conjonction « et » peut proposer, suggérer, un rapport inopiné, commutatif et dialectique, sans préjuger du type de relation, qui le plus souvent est complexe. Un « chaud et froid » n’est pas tiède ! Elle peut ouvrir un champ, un domaine, posant plus de questions que donnant de réponses, conjonction de composition, elle est un déclencheur de réflexion. Elle se distingue en cela de l’alternative du « ou », de la causalité du « car », de l’implication logique du « donc », de l’exclusive du « ni », de la réserve sceptique du «mais »,…qui flèchent l’assertion. « Je pense donc je suis », « je suis car je pense », apportent une réponse, alors que « je pense et je suis » constate, interroge et provoque la réflexion. Là, il semble que l’esperluette, &, (et sa mimologie) représente la clef (pensons à la clef de sol !!) qui ouvre un intervalle de combinaisons, d’associations, de corrélations, d’interactions, d’interférences, d’oppositions irréductibles…. Il y a dans ce caractère comme une boucle de rétroaction systémique ! « Pouvoir & communication ». « Pression & volume ». « Oxygène & hydrogène ». « Le hasard & la nécessité ». « L’être & le néant ». « Le chêne & le roseau ». « Mode & tradition ». « Filiation & adoption ». « Le capital & le travail ». « Esperluette & invention »…

Ainsi que l’esperluette, l’arobase @ a sa place sur le clavier des machines comme elle l’eut jadis dans la casse de l’imprimeur. Arobase est le terme, @ le caractère qui désignent le « à », le « a », élément du latin « ad », marquant la direction, le but à atteindre (adresser, adjoindre, adduire,..). Ici, non pas la trace fossile d’une ligature mais une fioriture, enveloppante spiralée, à laquelle on peut attribuer l’expressivité du mouvement centrifuge de la fronde qui vise une cible. L’image le dit, l’arobase est fonctionnelle, directive, univoque. Elle adresse, n’intéressant que le « préposé » du réseau pour la bonne orientation et la juste destination du courriel alors que « esperluette » rime avec « pirouette » et la mime ! Ici on est moins sérieux mais plus créatif !

 

 

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