Dans ce laboratoire de la physique du texte, de la chimie du sens, de l’alchimie de la poétique ; parmi les cornues , les éprouvettes, les microscopes, les becs Bunsen, les agitateurs, les pipettes, les cristallisoirs, les diapasons, les spectromètres, les prismes diffractifs, les cribles et les jeux de dés mallarméens, le percolateur et l’alambic partagent la même paillasse.Les deux machines intéressent le même domaine textuel celui des fluences, des fragments, de leur traitement et de leur transmission. Mais si le percolateur procède par adduction et transduction, l’alambic, lui, procède par abduction, là on mélange et ici on extrait. Le percolateur relève du réticulaire et l’alambic du linéaire.
L’alambic analyse, il produit(de façon asymptotique, bien sûr) l’essentiel, le pur. Il part du complexe et isole l’élément qu’il distingue par ses propriétés, il dé-compose pour atteindre les composants(analyse componentielle). Le percolateur incrémente par petits ajouts alors que l’alambic discrimine et sépare. Le percolateur marcotte, bouture ou greffe, l’alambic taille et élague.
Il ne faut pas se méprendre, mon propos semble opposer les deux machines avec une tendance à privilégier le percolateur. Il est vrai que les mots desservent l’alambic en lui assignant un rôle réducteur, simplificateur, mais c’est oublier son autre dimension celle de la profondeur, de l’acuité ; on diminue le champ mais on va plus loin. L’alambic est pointu, il affine, aiguise, par sélection et élimination latérale. Il focalise. Seul, il peut paraître étriqué dans sa spécialisation, sa crainte de l’encyclopédisme (parfois superficiel voire cuistre). La relation de l’alambic et du percolateur relève d’une dialectique orthogonale. Le percolateur a besoin parfois de faire la part des choses , d’isoler un texte de son contexte, de distinguer les malentendus, les interprétations erronées, les distorsions de la transmission, les altérations mnésiques, la perversion des mots, les rétentions de l’Histoire ; il doit détecter les influences, dénicher le subreptice et le subliminal. Dans tout percolateur il y a des micro-alambics comme il y a dans l’écriture le droit à la rature et à la relecture critique de la page précédente pour le lecteur.
Dans le bistro voisin, un client ajoute un peu d’alcool dans son café, il prétend que le parfum de l’un renforce le goût de l’autre : « Question de saveur ! »dit-il doctement. Complexité.