L’INTERFERRANCE (Au risque de la découverte)
L’interférence
On appelle interférence, la rencontre (ainsi que son effet) de deux ou plusieurs phénomènes. L’interférence révèle d’abord une différence, une distance, un décalage que l’action sur l’un d’eux peut réduire, voire annuler, jusqu’à la coïncidence, l’unisson. Cette propriété est utilisée par la science et les techniques des phénomènes vibratoires : repérage, détection, identification, résonance. Du son à la lumière.
Il arrive souvent que l’interférence soit subie ou mal maîtrisée, soumise à l’aléatoire, elle est génératrice de bruit, de brouillage, de confusion, de perturbation (noise en anglais), et dans le domaine de la communication, de tohu-bohu, de dispute, de querelle (noise, en français), de «différend ». Du silence du battement nul de l’accord au vacarme de la discordance.
L’interférance
A l’instar de Jacques Derrida qui crée le concept de
« différance » à partir de celui de « différence », nous créons le mot « interférance », le « a » provenant
immédiatement du participe présent et nous rapprochant de l’action en cours (de l’interférer et de l’interférant) avant même qu’elle ait produit un effet interférent.
L’Errance
« Je chante la joie d’errer » (Apollinaire). Errer c’est aller çà et là, sans but précis (Larousse) ; L’errance c’est la flânerie, la déambulation, la promenade buissonnière, hors des sentiers battus, en ces lieux ou la rencontre est toujours fortuite.
Il faut distinguer l’errance de l’errement. Alors que celle là se caractérise par sa gratuité et sa liberté, celui-ci est mû par un comportement obsessionnel voire névrotique (dans un labyrinthe il faut absolument atteindre la sortie), l’errant en un parcours heurté, bute sans cesse dans les obstacles qui cachent son objectif. Une autre forme de l’errement est la dérive qui ne doit son apparence de liberté qu’à la perte du libre arbitre de l’errant; esquif démâté soumis aux vents et courants contraires, avec à l’horizon le naufrage. Égarement. Erreur.
L’interferrance
« Interferrance » est un mot-valise composé de : interférence, interférance, errance, conjugaison des mots et conjonction des sens. L’interferrance est une déambulation là où les mots, les choses, les idées peuvent, interférer, où l’on peut être l’acteur ou le témoin d’une rencontre, inopinée, d’une interférence.
L’interferrance échappe au projet, au plan, à la prescription, à la méthode, à l’organisation. Ce n’est pas la drague de l’orpailleur en quête de pépites. Ni obsession, ni obstination, ni ordonnance, mais surprise, coup de cœur, coup de foudre. Tout se passe COMME SI les objets (choses, mots, idées) émettaient une vibration spécifique qui ne se manifeste que sous le regard (les sens) de l’observant. Peut-on évoquer l’inspiration, l’intuition ? En tout cas ici pas de magie, pas de spiritualité exotique mais finesse et géométrie, disponibilité, ouverture d’esprit, curiosité en toute chose et imagination. L’interferrant se méfie des oeillères et des ornières, des barrières et des frontières. Pas de regard tendu mais une acuité mobile et une distance vis à vis de certaines cohérences, cohésions ou autres pertinences sous-tendues par des préjugés ou des logiques simplistes.
L’interferrant est à l’aise dans la complexité des choses, il perçoit naturellement la multiplicité des relations, des associations comme des antagonismes. Il est apte à saisir le latent sous le patent. L’interferrance est plus systémique que systématique et de toute façon elle est jubilatoire et créative.
L’interferrance n’a pas de territoire attitré avec cependant une prédilection pour les marges, les carrefours, les interstices, les traboules, le rhapsodique, l’ocellé, le bigarré, l’hétérogène, les plis et les replis, l’occurrence et la contingence. Le baladeur sait rompre les bâtons d’une conversation qui s’enlise, se dévoyer, se dérouter et ses yeux dessiller. Il accepte d’être accroché par un mot, une phrase, une image. Rêveur éveillé, l’interferrant est peut-être un poète en tout cas c’est un découvreur, un « inventeur de trésor ». Archimède puise son principe dans sa baignoire. Christophe cherche les Indes et découvre l’Amérique. Picasso disait : « Je ne cherche pas je trouve » et Jankélévitch évoquait « la fée occasion ». Quant à Joyce il se référait à l’Épiphanie, expérience intellectuelle et émotive de la découverte d’une autre réalité. En 1929 André Breton écrivait : « il s’agit de ne pas derrière soi, laisser s’embroussailler les chemins du désir. Rien n’en garde moins, dans l’art, dans la science que cette volonté d’applications, de butin, de récolte. Foin de toute captivité, fût-ce aux ordres de l’utilité universelle. Aujourd’hui encore je n’attends rien que de ma seule disponibilité, que de cette soif d’errer à la rencontre de tout ».